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Droit du travail : vers plus de sévérité pour les clauses de résidence

Le 17 avril 2012
Droit du travail : vers plus de sévérité pour les clauses de résidence
Attentatoires à la vie privée et au libre choix du domicile par le salarié, les clauses de résidence sont examinées avec sévérité par la Cour de Cassation.

Le 28 février 2012, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation est revenue sur les clauses de résidence, clauses aux termes desquelles l’employeur impose au salarié de fixer sa résidence dans un certain secteur géographique autour de l’entreprise. Si les clauses de résidence demeurent valables, il semble bien que, sous couvert de ce qui pourrait paraître comme une simple évolution de vocabulaire, la Haute Juridiction aille dans le sens d’une plus grande sévérité encore à l’encontre de clauses de résidence qui n’ont jamais véritablement eu ses faveurs.

 

Il est tentant pour un employeur de prévoir qu’un salarié devra impérativement résider à proximité de l’entreprise. C’est une tentation que l’on comprend évidemment lorsque le poste occupé s’accompagne de périodes d’astreinte ou que, sans comprendre effectivement une obligation à des astreintes, il peut conduire à des interventions d’urgence du salarié. Il reste que cette tentation doit être conciliée avec le droit à la vie privée du salarié, lequel comporte le droit de choisir librement son domicile.

Les clauses de résidence sont ainsi encadrées de longue date par la jurisprudence depuis l’arrêt dit Spileers (Soc. 12 janvier 1999, pourvoi n° 96-40.755) et s’insèrent parmi les libertés dites accessoires, par opposition aux libertés fondamentales ou absolues (sur la distinction, voir ici), qui admettent des restrictions aux libertés pour autant qu’elles soient justifiées par « la nature de la tâche à accomplir » et qu’elles soient « proportionnées au but recherché » (article L 1121-1 du code du travail).

Il reste que, jusqu’à présent, la jurisprudence admettait les clauses de résidence pour autant qu’elles étaient indispensables à la « protection des intérêts légitimes de l’entreprise et proportionnées, compte tenu de l’emploi occupé, au but recherché ».

Aux termes de l’arrêt sous commentaire, la chambre sociale de la Cour de Cassation opère un glissement sémantique, collant davantage avec les termes de l’article L 1121-1 du code du travail, glissement sémantique qui semble bien aller dans le sens d’une plus grande sévérité des critères d’appréciation de la validité des clauses de résidence.

 

De quoi s’agissait-il en l’espèce ?

La salariée avait été embauchée par une association hébergeant des majeurs protégés. Son contrat de travail prévoyait qu’elle devait résider à moins de 200 m de l’association. La salariée n’était soumise à aucune heure d’astreinte et ses horaires étaient fixes. Néanmoins, son contrat de travail prévoyait des ‘heures volantes’ aux termes desquelles la salariée pouvait être amenée à intervenir en urgence au sein de l’association ; d’où la proximité souhaitée par l’employeur entre le lieu de résidence de la salariée et l’établissement de l’association.

Se référant à la jurisprudence de la chambre sociale, la Cour d’Appel avait estimé que la clause de résidence était « indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’association et des personnes auprès desquelles la salariée a pour objet d’intervenir et proportionnée, compte tenu de l’emploi occupé, au but recherché ».

La chambre sociale censure l’arrêt de la Cour d’Appel au visa de l’article 8 de la Conv. EDH, de l’article 9 du Code Civil, protégeant le droit à la vie privée, et de l’article L 1121-1 du code du travail, mais encore d’un attendu de principe aux termes duquel : « toute personne dispose de la liberté de choisir son domicile et que nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché ».

 

Bien plus qu’un glissement sémantique : une sévérité accrue dans l’admission des clauses de résidence

Ce glissement sémantique a deux conséquences :

1. la prise en compte du poste ne relève plus tant de l’appréciation de la proportionnalité entre l’intérêt de l’entreprise et la nécessité de stipuler, ou non, une clause de résidence.

C’est une question de principe et préalable : au-delà du poste, les tâches attendues du salarié justifient-elles ou non la stipulation d’une clause de résidence.

Bien sûr, l’intérêt de l’entreprise est sous-jacent dans l’étude de la tâche à accomplir. Il n’est plus suffisant. On ne peut se contenter d’appréciations générales, abstraites, sur l’intérêt de l’entreprise. Il s’agit, concrètement, de savoir si les tâches attendues du salarié exigent, ou non, une sujétion en terme de résidence.

De l’analyse de l’objet de l’activité de l’entreprise, le débat est déporté sur les tâches concrètement dévolues au salarié.

 

- la proportionnalité ne peut conduire pour sa part à analyser exclusivement « la nature de l’emploi occupé ». Les tâches confiées au salarié relèvent désormais de la question de savoir si oui ou non, dans son principe, une clause de résidence peut être imposée au salarié.

 

La question n’est plus tant de savoir si la stipulation d’une clause de résidence est proportionnée ou non « au but recherché », mais de savoir si le contenu de la clause stipulée est conforme à ce but.

A supposer, pour revenir aux faits de l’espèce, que l’existence d’ « heures volantes », pouvant amener la salariée à intervenir en urgence, puisse justifier la stipulation d’une clause de résidence, est-il raisonnable d’exiger que cette résidence soit située à moins de 200 m de l’établissement de l’association, lorsque la Cour de Cassation prend soin de relever que le nouveau domicile de la salariée lui permettait d’être sur site en moins de 25 minutes ?

La nature de l’emploi n’est plus un critère de la proportionnalité. C’est une condition de la validité de principe des clauses. Une fois cette validité de principe de la clause établie, reste à en analyser le contenu, la proportion entre :

- le rayon au sein duquel la résidence doit être fixée ;

- le temps mis par le salarié, pour autant que les tâches confiées peuvent conduire à l’exiger, pour se rendre sur son lieu de travail ou sur son lieu d’intervention.

 

On le voit, il y a bien plus ici qu’un glissement sémantique. Par un rapprochement plus direct avec la lettre de l’article L 1121-1 du code du travail, c’est une plus grande sévérité, une plus grande exigence de motivation, qui est imposée aux juges du fond et à l’employeur qui souhaite stipuler une clause de résidence.

On ne saurait que trop conseiller à l’employeur qui entend stipuler une telle clause de ne pas se contenter d’imposer un rayon géographique à ses salariés au sein duquel ils devront fixer leur résidence, ni de se référer à une motivation vague « compte tenu du poste occupé ». On ne saurait que trop conseiller à l’employeur d’inclure au sein de la clause les motivations précises qui le pousse à stipuler une obligation de résidence (risque d’incidents, astreintes, durée et nature d’intervention). Si l’employeur peine à trouver ces motivations précises, c’est peut-être que la clause de résidence ne se justifie pas tant que ça… un peu comme les clauses de non-concurrence ont cessé d’être des clauses de style et d’être si indispensables que cela du jour où la jurisprudence a exigé la stipulation d’une contrepartie financière.

 

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